L'amour libre ? - Répercussions de la pornographie au Danemark

Dès 1962, le Danemark est submergé par un mouvement de libéralisation des mœurs que l'histoire qualifiera de " grande vague pornographique ". Ce sont tout d'abord des livres à l'index qui sont vendus sous le manteau. Un premier climax est atteint en 1964/65, alors que l'industrie danoise pubescente est déjà très active, du célèbre magazine " Weekend " au Super-8. Le 2 juin 1967, la loi qui interdisait les écrits à caractère pornographique est définitivement abolie. Par la suite, la détumescence de la demande est telle que l'édition pornographique disparaît presque totalement du marché. Avant l'abolition de la censure, chaque semaine voyait paraître jusqu'à trois romans à fort tirage.

Deux ans plus tard, le 1er juin 1969, les reproductions pornographiques et autres gadgets sont à leur tour autorisés. A cette date, le Danemark a la législation la plus libérale du monde dans ce domaine. Désormais, la production pornographique est légale, de même que sa vente à des personnes ayant 16 ans révolus. Surgit alors un secteur économique florissant, dix entreprises produisent des revues, trois ou quatre des magazines et des films, et en 1969 ces derniers représentent 50% du volume des ventes, entre 50 et 70 millions de dollars. Les pornographes s'en mettent plein les poches, malgré une chute momentanée des prix à la suite de la légalisation.

Les Danois(es) sont sur toutes les lèvres. Un véritable tourisme du sexe se développe, Copenhague devient la " Mecque plus ultra " de la pornographie. Le Danemark libéralisé compte environ 100 sex-shops, dont la moitié à Copenhague. Les visiteurs, pour un quart d'entre eux étrangers, préfèrent satisfaire personnellement leurs besoins que de se faire livrer à domicile. Le 21 octobre 1969, la première foire du sexe, appelée " Sex 69 ", s'ouvre à près de 50 000 visiteurs qui prennent d'assaut les 40 stands. A 80%, ces voyeurs sont des hommes âgés de 25 à 39 ans. Mais l'intérêt pour la chose traverse toutes les classes d'âge et les couches de la société.

Le comportement sexuel des Danois excite tellement le reste du monde qu'on voit surgir un genre nouveau de cinéma pseudo-porno qui met le Danemark à nu. Le film " Pornography in Denmark " - ultérieurement rebaptisé " Censorship in Denmark : A new Approach " sur une ordonnance rendue par un tribunal - montre des images de salons, des vibro-masseurs, des accoutrements pour fétichistes et des extraits de films danois produits pour l'exportation. Le réalisateur Alex de Renzy a recours à une astuce : il filme des images pornographiques non retouchées, mais il invoque l'aspect strictement documentaire de son travail. De fait, les images de sexe, reproduisant par exemple une femme en train de se masturber, confèrent au film une dimension éducative qui rappelle davantage un cours de biologie qu'un document pornographique.

Pourtant, le film de De Renzy, de même que " Sexual Freedom in Denmark " et " Wide Open Copenhagen '70 " de John Lamb, fonctionnent sur le schéma de " films culturels ", ils rendent compte de la nature et de l'effet de la pornographie légalisée dans un autre pays. En conséquence, ces films, ainsi que les films d'éducation sexuelle dont plus personne désormais s'offusque, vont faire évoluer les mentalités, tout d'abord au Danemark, puis dans tout le monde occidental.

Les Américains seront les premiers à s'intéresser aux effets de la libéralisation, d'autant plus que les films européens, à l'époque, inondent le marché américain comme jamais auparavant ni jamais par la suite.

Après avoir interrogé un panel d'environ 200 Danois et Danoises de toutes les catégories sociales et classes d'âge à Copenhague, Kutchinsky parvient à des conclusions qui reflètent fort bien l'état de l'opinion danoise postérieurement à la " réforme de la pornographie ". Ainsi, une majorité de 77% pense que la pornographie, le cas échéant, peut avoir des effets bénéfiques, alors que seulement 18% des personnes interrogées sont fermement convaincues du contraire. Celles qui pensent que la pornographie peut, dans certaines circonstances, avoir des effets pervers évoquent essentiellement les risques qu'elle fait courir aux enfants (18%), aux adolescents (13%) ou à d'autres groupes particulièrement exposés (13%). Les Danois ne sont qu'une très faible minorité de 5% à penser que la pornographie encourage les crimes de nature sexuelle.

Une des questions les plus épineuses à laquelle Kutschinsky est appelé à répondre porte sur l'évolution de la criminalité à Copenhague de 1959 à 1969 et sur les effets positifs que pourrait éventuellement entraîner la légalisation de la pornographie. Il prend ici pour référence le recul de certains délits. Ainsi, il ressort par exemple que, dans la période 1959-1969, les comportements indécents ou exhibitionnistes vis-à-vis de fillettes et de femmes ont chuté jusqu'à 30% - ce qui d'ailleurs peut tout autant révéler la moindre propension des femmes à porter plainte.

Sans doute ces chiffres ne démontrent-ils pas de manière évidente les effets bénéfiques de la pornographie et le recul objectif des crimes sexuels. Et il ne fait pas de doute qu'un violeur déterminé ne se laissera guère amadouer par des images pornos ou par " Fanny Hill ". Quant à savoir, comme l'affirment certaines études, si la libéralisation de la pornographie a réellement fait baisser le nombre d'enfants abusés sexuellement, cette question est controversée. Mais il est un point sur lequel les conclusions de Kutschinsky ne souffrent pas la moindre contestation : la légalisation de ce qui, au Danemark de l'époque, est défini comme la pornographie, n'a pas eu de répercussions négatives.

Ces conclusions expliquent entre autres pourquoi la Suède voisine, dès 1971, imite le Danemark et dépénalise la pornographie. Ces deux pays scandinaves ont donc joué un rôle d'avant-garde dans l'histoire du droit. En 1973, le législateur allemand, en adoptant la 4ème réforme du Droit Pénal, autorise la production pornographique et sa distribution à des adultes - alors même que l'" âge d'or " de la pornographie danoise est sur le déclin. Sur le plan législatif, la France fait partie des retardataires dans ce domaine : il a fallu attendre le 1er mars 1994 pour que le Nouveau Code Pénal lève officiellement l'interdiction de la pornographie pour les adultes.

Fabian Kress

http://archives.arte-tv.com/fr/archive_271127.html

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